« L’exploitation de la data représente une opportunité pour l’ensemble de l’écosystème éducatif »

Sabrina Caliaros, Directrice de région académique du numérique pour l’éducation, Région académique Occitanie 

  • Quelle place occupe le numérique éducatif au sein des académies aujourd’hui ?

Une place privilégiée ! C’est une priorité de l’Éducation nationale mais aussi de la société actuelle, largement numérisée aujourd’hui. Le numérique éducatif implique de s’intéresser à différentes dimensions ; d’abord, aux usages quotidiens, dans la salle de classe, pour viser des bénéfices pédagogiques amplifiés ; ensuite, aux compétences numériques des enseignants et des élèves – avec l’ambition, pour ces derniers, d’atteindre dans le cadre de Pix* la maîtrise des fondamentaux et le développement de l’esprit critique du citoyen numérique.

Avec Pix+Édu**, la volonté est de permettre aux enseignants de renforcer leurs compétences et de faciliter leur expression, par exemple avec la création d’une communauté numérique dans l’établissement scolaire. Cette acculturation, déjà largement engagée, reste un fort enjeu dans l’Éducation nationale.

  • Si le numérique éducatif représente une opportunité pour récolter et stocker de la donnée, quels usages concrets peut-on en espérer ?

En 2019, la région académique a été invitée à rejoindre le portail data.education.gouv.fr, en se dotant du sous-domaine data.occitanie. A l’époque, nous ne savions pas vraiment dans quoi nous nous engagions, mais nous avions conscience que cela pouvait représenter une opportunité. Aujourd’hui, nous en avons la confirmation avec les données partagées en open data avec les collectivités, en réciprocité et en complémentarité. La plateforme est également dédiée aux close data, des données de travail qui sont au cœur des nos échanges avec ces partenaires.

Il est en effet fondamental pour nous de stocker de la data, de pouvoir l’exploiter et de la visualiser, afin de répondre à nos besoins de connaissance et de compréhension – par exemple, sur les potentialités des territoires et des établissements. Ce maillage intelligent de la région académique ouvre la voie à un pilotage basé sur des tableaux de bord, et centré sur des cas d’usages. La donnée est nécessaire pour évaluer les politiques publiques et les faire évoluer, avec agilité et réactivité. La recherche d’efficacité et d’efficience doit s’imposer à tous les niveaux du circuit de pilotage.

  • Quels sont les bénéfices de l’exploitation de la data pour les différentes parties prenantes ?

Une première illustration est la possibilité, pour l’enseignant, de diversifier la réponse éducative tout en la personnalisant. Le recours à l’intelligence artificielle permet de tirer parti des données de la classe, comme les profils des élèves et leurs besoins, et ainsi d’identifier les réponses pertinentes à apporter, avec une proposition pédagogique déclinée en fonction de la capacité de chaque élève à y répondre. La data est donc au service d’un travail positif, par exemple de prévention du décrochage. Pour concrétiser cette ambition, il faut proposer des formations aux enseignants, comme dans le cadre de la Maison du Numérique que nous sommes en train de déployer.

La donnée permet aussi de mieux connaître le terrain. C’est l’un des objectifs de la stratégie numérique du ministère : s’appuyer sur un volume de data suffisant pour atteindre une granularité fine. Avec la plateforme que nous mettons en œuvre, chaque territoire pourra exploiter ces données pour travailler plus efficacement, en fonction de ses spécificités. Nous avons encore des marges de progrès pour partager plus équitablement la data, encore trop marquée par des fonctionnements en silo.

  • Comment limiter les risques associés à la data ?

Déjà, en ne transigeant pas avec les principes FAIR (Facile à trouver, Accessible, Interopérable, Réutilisable). Pour chaque objectif, il faut se donner des garde-fous. La protection des données est fondamentale, et tout écart avec celle-ci est pénalisant, même avec les meilleures intentions. Il faut être très au clair avec l’objectif de traitement des données. Prenons l’exemple d’un questionnaire en ligne : dans quel cadre sera-t-il utilisé ? La confidentialité et la sécurité doivent rester au cœur de notre travail de sensibilisation.

Ce que j’appelle l’« intelligence de la donnée » recoupe aussi bien sa traçabilité que ses usages ou sa pérennisation. Nous devons encore avancer pour atteindre une pleine et entière maturité dans ce domaine. Le cloud souverain peut y contribuer en offrent des fonctionnalités supérieures, sur trois modalités – l’organisation, la gestion et l’utilisation. Les projets européens en cours favorisent cette capitalisation de la donnée : nous devons entrer, au niveau national, dans la même logique.

  • Le Big Data et l’IA ne risquent-ils pas de rentrer en contradiction avec la liberté pédagogique à terme ?

La machine est là pour assister l’Homme, pas l’inverse, et ce principe doit s’appliquer au numérique. Prenons le cas emblématique de ChatGPT : l’IA générative peut être exploitée pour chercher des éléments de bibliographie et d’information. Au sein de la DRANE, nous incitons les enseignants à définir des énoncés de travail qui ne peuvent pas être renseignés par une machine. Une logique d’assistance peut présider au recours à la technologie par la communauté éducative. La liberté pédagogique s’exercera toujours tant qu’elle relèvera du choix – par exemple, d’utiliser ou non telle application.

  • Quelles sont les conditions de réussite du numérique éducatif ?

Il me paraît primordial de s’intéresser au « comment » et au « pourquoi », de partir des utilisateurs et des usages comme principe fondamental du recours aux solutions digitales. Deux entrées sont à prendre en compte : les besoins du terrain, et l’état du terrain. Cette dynamique peut être illustrée par le « territoire numérique éducatif » mis en place dans l’Hérault : il s’agit d’opérer un diagnostic du département en s’appuyant sur des données sociologiques et économiques macro, mais aussi sur des informations plus spécifiques afin d’obtenir des données de pilotage beaucoup plus fines.

Par exemple, la distance entre l’établissement scolaire et la zone d’habitation des élèves peut aider l’enseignant à ajuster la charge de devoirs à la maison, en cohérence avec le temps de déplacement des élèves. La data portant sur le niveau d’équipement, le taux d’usage et les résultats des élèves est aussi très utile pour s’assurer que ce qui est mis en œuvre porte les fruits attendus. Plus globalement, la donnée offre davantage de possibilités de justification, a priori et a posteriori.

A mes yeux, la principale condition de réussite reste le prisme de l’usage et de la pertinence. Il ne faut surtout pas dupliquer telle quelle une démarche pédagogique avec le numérique, mais bien partir du réel pour ajouter les briques digitales utiles. A notre niveau, nous devons contribuer à expliquer en quoi le numérique peut être un allié des enseignants, sans chercher à l’imposer. Le niveau d’accompagnement est en plein essor, ce qui permettra de concrétiser nos ambitions.

* Service public en ligne pour évaluer, développer et certifier les compétences numériques tout au long de la vie

** Certification destinée aux enseignants ayant déjà une pratique courante et souhaitant valoriser leurs compétences